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Renonciation du droit à l’avocat en garde à vue : la CEDH fait le point

Pénal - Pénal
25/09/2019
Par un arrêt du 17 septembre 2019, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la Turquie pour violation de l’article 6§1 et 6§3c) de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au procès équitable. Elle lui reproche son refus d’accès à un avocat pendant une garde à vue ainsi que l’utilisation par le tribunal des déclarations faites dans ce cadre.
Le 13 novembre 2003, la requérante est arrêtée avec ses coaccusés pour soupçon d’appartenance à une organisation terroriste illégale, le PKK, parti du Kurdistan.

La requérante est placée en garde à vue le 14 novembre jusqu’au 17 novembre 2003. Elle est interrogée hors la présence d’un avocat. Un formulaire imprimé mentionne sa renonciation à l’assistance d’un avocat. Lors de cette mesure, la requérante fait une longue déclaration dans laquelle elle admet son appartenance au PKK, détaille sa place dans l’organisation et décrit ses liens avec les coaccusés. Chacune des neuf pages de la déclaration comporte sa signature.

Le 17 novembre 2003, la requérante est amenée devant le procureur et réclame un avocat. Lors de son audition, elle nie le contenu de la déclaration en arguant avoir été contrainte de la signer à la suite de violences policières. Elle soutient n’avoir aucun lien avec l’organisation terroriste et réitère sa position devant le juge d’instruction.

La requérante est néanmoins placée en détention provisoire. A une date inconnue, elle dépose plainte auprès du parquet pour maltraitance policière durant sa garde à vue. Le 31 mars 2004, le procureur décide de ne pas poursuivre les policiers faute de preuves.

Le 17 mars 2004, la requérante réitère ses griefs devant le tribunal de première instance. Elle précise en outre être analphabète. Le 13 février 2009, lors de la dernière audience, la Cour d’assises d’Istanbul condamne la requérante à six ans et trois mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste illégale, infraction prévue à l’époque par l’article 168 du Code pénal. La condamnation repose principalement sur la déclaration initiale faite à la police. Le 27 avril 2010, la Cour de cassation turque confirme la condamnation.

La requête devant la CEDH :

La requête devant la CEDH a été introduite le 22 novembre 2010. Est invoquée une violation de l’article 6§1 et 6§3c) de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

«   1. Dans la détermination de (...) toute accusation pénale dirigée contre lui, chacun a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal (...) dans un délai raisonnable ... 

3. Toute personne accusée d'une infraction pénale jouit des droits minimaux suivants: ...

c) de se défendre lui-même ou par le biais d'une assistance juridique de son choix ou, s'il ne dispose pas des moyens suffisants pour payer l'assistance judiciaire, de la recevoir gratuitement lorsque l'intérêt de la justice l'exige ».

La requérante met en avant le refus d’accès à un avocat lors de sa garde à vue et l’utilisation par le tribunal des déclarations faites sous la contrainte.

La réponse de la Cour :

La Cour de Strasbourg répond en trois temps.
 
  • Quant aux contraintes physiques exercées par la police :
La Cour observe qu’aucun élément ne prouve l’existence de violences physiques exercées pendant la garde à vue. Les deux examens médicaux réalisés au début et à la fin de la mesure ne font aucunement état de traces de mauvais traitements infligés à la requérante. Faute de preuve et conformément à la jurisprudence K. c. Turquie (CEDH, 15 sept 2015, req. n° 27422/05 , § 50),la Cour rejette cet argument. 
 
  • Quant à l’absence de l’avocat pendant la garde à vue : 
   
Au préalable, la Cour souligne la modification légale du droit turc depuis l’arrêt S. c. Turquie (CEDH, 27 nov 2008, req. n° 36391/02). Au moment des faits, la restriction systématique au droit d’accès à un avocat pour les infractions terroristes avait été supprimée.
 
Elle indique ensuite la question juridique posée à savoir « si la requérante a valablement renoncé à son droit de consulter un avocat avant de faire des déclarations à la police ».
 
La Cour rappelle que l’article 6 de la CEDH n’empêche pas une personne de renoncer expressément ou tacitement aux garanties du procès équitable à condition que la renonciation soit non équivoque et que le renonçant soit informé des conséquences de sa décision.

 En l’espèce :
 
  • « La requérante s’est immédiatement rétractée dès qu’elle a eu accès à un avocat, à la fois devant le procureur général et le juge d’instruction » ;
  • si l’utilisation d’un formulaire de renonciation imprimé ne contrevient pas, en principe, aux exigences de la CEDH, il est nécessaire de s’assurer de la volonté réelle du renonçant ; dans cette affaire, compte tenu de l’illettrisme de la requérante, une protection supplémentaire était nécessaire ;
  • rien n’indique que la requérante ait été informée des conséquences de sa renonciation ;
  • si le coaccusé a, lui, bénéficié de l’assistance d’un avocat, ses déclarations ont été faites à une autre date et devant d’autres policiers ;
  • le tribunal de première instance n’a pas examiné la validité de la renonciation ;
  • l’infraction reprochée est grave et passible d’une lourde peine.
Face à ces faits ambigus, la Cour « n’est pas en mesure de déterminer si la renonciation du demandeur était valide ». Par conséquent, « le gouvernement n'a pas démontré que la requérante avait valablement renoncé à son droit à un avocat » au moment de ses déclarations.
 
  • Quant à l’équité globale de la procédure :   
 
Pour que les principes de l’article 6 de la CEDH soient respectés, la Cour précise que le requérant doit avoir eu « la possibilité de contester l’admissibilité et l’authenticité de la preuve et de s’opposer à son utilisation » et que « la qualité de la preuve doit être prise en compte » notamment en cas de doute sur sa fiabilité. Par ailleurs, le tribunal de première instance se devait de vérifier la validité des déclarations.

En l’espèce, la requérante n’a jamais réitéré ses déclarations. Aucune opération de vérification n’a été opérée par le tribunal de première instance malgré la plainte ultérieure de la requérante. Pour condamner la requérante, le tribunal s’est en sus principalement fondé sur les déclarations litigieuses.

Partant, « la Cour estime que l'absence d'un examen minutieux par les juridictions nationales des circonstances entourant la renonciation du demandeur et le fait que cette faille n'ait pas été corrigée par d’autres garanties au cours de la procédure rend le procès dans son ensemble inéquitable ».
 
À l’unanimité, la Cour conclut à une violation de l’article 6§1 et 6§3c) de la Convention.